Balder Ex-Libris

Auteur : Markale Jean
Ouvrage : Brocéliande et l'énigme du Graal
Année : 1989

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Les routes de nulle part. Si quelque divinité maléfique, il en existe sûrement, surgissait de l’ombre, un soir, ayant décidé d’engloutir la surface de la terre, et me demandait, par faveur insigne, quelle partie du monde j’aimerais voir épargnée, je répondrais sans aucune hésitation : Brocéliande. Cette réponse ne correspondrait pas à un choix, mais elle serait une nécessité. Dans ce qu’on appelle la tradition, et aussi dans l’histoire, Brocéliande apparaît comme un pays merveilleux où des chevaliers errants se perdent à force de chercher vainement le Château du Graal, mais pour moi, il s’agit d’une forêt bien réelle, située quelque part au centre de la Bretagne armoricaine, entourée de landes rocailleuses et presque agressives, sur lesquelles soufflent en rafales des vents venus d’ailleurs. Brocéliande, ce n’est pas vraiment le pays de mes ancêtres, ce n’est pas non plus le lieu de ma naissance, mais c’est incontestablement la région du monde où j’ai appris très tôt – je n’avais pas trois mois d’existence – à respirer l’odeur forte des pins mêlée aux senteurs plus mouillées des hêtres et des chênes. Et puis, surtout, c’est Brocéliande qui m’a constitué, qui m’a fait, qui a modelé mon visage et mon âme, ouvrant, dans les entrailles de la terre, un chemin profond que depuis lors je n’ai cessé de suivre, persuadé qu’il me mènerait vers les éclatantes éclaboussures des derniers rayons du soleil rouge, celui qu’on voit disparaître, certains soirs, dans les vagues d’un océan qui passait autrefois pour les limites de l’univers. Certes, ce chemin sinueux n’était pas sans danger, ni sans risque de perdition. Bien souvent, je me suis heurté à d’infranchissables barrières, ces touffes d’ajoncs qui font saigner les pieds et les mains quand on veut aller plus loin. Les chemins de Brocéliande s’interrompent brutalement et reprennent ailleurs sans qu’on sache pourquoi ni comment. Ce sont réellement des Routes de Nulle Part. Mais aussi des Routes de Partout. Et d’étranges silhouettes se dessinent à travers les épines, pour guider ou égarer, selon l’humeur, le voyageur qui se risque à vouloir pénétrer le coeur d’une forêt insolite, là où le soleil, le vent, la brume et les grandes ombres magnétiques de la terre s’élancent vers le ciel en un fantastique ballet dans lequel on risque d’être entraîné sans pouvoir jamais s’en retirer. ...