Robert Véronique - Destouches Lucette - Céline secret


Auteurs : Robert Véronique - Destouches Lucette
Ouvrage : Céline secret
Année : 2001

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Depuis la mort de Louis, la vie ne m’intéresse plus. C’est comme si avec lui j’avais nagé dans un fleuve pur et transparent et que je me retrouvais sans lui dans une eau sale et boueuse. On a été seul tous les deux et personne d’autre pendant vingt-cinq ans. Il me protégeait de tout et je lui ai tout donné. En voulant arrêter ma vie comme une montre que je n’aurais plus eu la force de remonter, je me suis engouffrée dans quelque chose qui me paralyse. Je sais que si on s’intéresse à moi, c’est parce que, un jour, ma vie a rencontré celle de Céline. Malheureusement, mes souvenirs sont comme des pétales qui s’échappent d’un bouquet dont les fleurs sont mortes. C’était l’histoire de Céline pas la mienne, mais, de cette vie, je suis ressortie brûlée. Si, comme au théâtre, je devais définir mon personnage, je dirais qu’il s’agit d’une présence, une suivante, pas une participation. Maintenant, je ne sors plus, je ne bouge plus, mais quand je suis dans mon lit, la nuit, le jour, je parcours ma vie à l’envers et une image plus forte que les autres s’impose à moi, je n’ai plus alors qu’à laisser se dérouler lentement le film de mon cinéma intérieur. J’ai un an, je suis à l’île Saint-Louis dans ma poussette, une femme se précipite sur moi, m’arrache de mon landau et dit à ma mère : « Quand on sait tout ce qu’elle va vivre, il vaudrait mieux pour elle la jeter dans la Seine. » Si, au moment de sa naissance, on pouvait voir se dessiner le fil de son existence, personne sans doute ne voudrait naître. En tout cas, moi aujourd’hui je ne recommencerais pas ma vie, ou alors à l’envers, naître vieille et mourir jeune. J’ai toujours cru aux ondes, aux prémonitions, aux sorcières et aux fées, à toute une existence secrète qui n’a cessé au long de ma vie de me faire des signes. Seuls deux êtres ont vraiment compté pour moi : ma mère et Céline. Seules deux passions m’ont nourrie entièrement : la danse et les animaux. J’ai adoré ma mère, c’est la personne au monde que j’ai le plus aimée et qui me l’a si mal rendu. Elle m’a eue à dix-sept ans. Comme dans Nana, je l’ai amusée jusqu’à trois ans. J’étais comme une poupée pour elle, après elle a pris des amants, elle m’enfermait pour les voir, m’a inscrite en pension. Elle m’habillait avec ses vieux vêtements, j’avais l’air d’une pauvresse. Mon père parti au front, elle a dû se mettre à travailler et m’a placée chez les Sœurs. Elle était première vendeuse chez Lanvin. Là, elle trouvait à satisfaire son goût pour le luxe et l’amour. Elle aimait le sexe pour le sexe, c’était une jouisseuse, pas une nymphomane. Elle avait une peau extraordinaire et des cheveux blonds immenses qu’elle a fait couper car c’était la mode. Elle attirait les hommes. Je devais l’appeler par son prénom « Gabrielle ». Ce n’était pas une mère, elle avait quelque chose de dénaturé, de monstrueux… Elle buvait, jouait, me volait pour assouvir sa passion, je crois qu’elle m’aurait souhaitée courtisane pour l’entretenir. Sa vie fut comme un roman. Elle est née à un bout de Dieppe, l’embarcadère, pour mourir à l’autre bout, les falaises. Elle a fait la boucle. Elle est partie, après l’extraction de ses dents de sagesse, une hémorragie s’est déclarée et, se vidant de son sang, elle est morte seule sur les rochers. A la fin, elle ne buvait plus que du Champagne et ne mangeait que des huîtres. Durant le mois qui a suivi sa mort j’ai reçu des modèles haute couture de chez Patou qu’elle avait commandés et que j’ai dû payer. C’était une femme à dettes, sa vie entière, elle en a fait. Voilà tout ce que je peux dire sur ma mère mais j’ai aussi beaucoup aimé mon père. Maman était flamande et lui normand. Je porte en moi ces deux origines, mais si je ne ressens rien en Belgique à Ostende, l’odeur du tilleul de Normandie me fait pleurer. Je pense à un soleil de Turner. Dans l’Orne, ma grand-mère avait une maison avec un tilleul. A cinq ans, elle m’a fait jurer de ne jamais le couper. Quand j’ai vendu la ferme, je n’ai pensé qu’au tilleul, je l’avais trahie. Plus que tout, mon père désirait un garçon. Quand je suis née, il ne m’a même pas regardée. Je l’ai connu, j’avais six ans. Entre-temps, comme Céline, il s’était engagé volontaire dans l’armée, la cavalerie je crois. Il est parti en 1912 et revenu en 18. Il avait vingt-sept ans et ma mère seize quand ils se sont connus. Ma mère a voulu mon père, comme en enfant gâtée, elle aurait voulu un nouveau jouet : il était beau, il portait l’uniforme, elle l’a épousé. Il est parti tout de suite à la guerre et la guerre a tué leur amour. Quand il est rentré, ce n’était plus le même homme. C’était fini. Il disait : « Une femme, ça se prend comme un bifteck, c’est tout. » Ils ont attendu que je sois majeure pour divorcer mais ils se disputaient sans cesse, avaient des liaisons chacun de leur côté et ils étaient jaloux quand même. A l’époque où ils étaient encore amoureux, je me souviens d’une scène terrible. Ma mère était médium. Une nuit, elle a voulu passer par la fenêtre pour aller rejoindre mon père qui se trouvait au front. C’était le jour où il a reçu une balle qui heureusement n’a traversé que son casque. La dernière preuve d’amour de mon père à ma mère, c’était à Dieppe. Elle avait été se baigner dans une mer démontée et, rejetée par les vagues, elle ne pouvait pas rentrer. C’était une très bonne nageuse, mon père lui ne nageait pas bien, il est allé la chercher. Mes grands-parents paternels possédaient des terres situées près de Mortagne, là où Gabin a eu tous ces ennuis quand il a voulu s’y installer. Mon grand-père fabriquait des bateaux en bois. Il ne parlait jamais, je l’adorais, mais il ne m’a peut-être pas dit deux mots dans sa vie. Il était menuisier à Saint-Nazaire, compagnon du tour de France. Il s’est établi par la suite à vingt kilomètres de Mortagne, ville des Maures, dans le Perche. C’est de là que vient mon nom Almanzor qui date de 732, quand Charles Martel a chassé les Arabes de Poitiers ; Louis s’intéressait beaucoup à la généalogie, il pensait que l’origine arabe de mon nom expliquait ce goût que j’ai toujours eu, sans raison, pour les danses orientales et espagnoles. J’avais un don, sans jamais les avoir étudiées, un peu comme si c’était dans mes gènes. Tous les jours ma grand-mère buvait un petit verre de calvados avant d’aller traire ses vaches. Un matin, elle ne s’est pas levée, n’a rien bu, et elle est morte dans la journée… Je suis retournée à Mortagne longtemps après, tout avait changé. J’ai retrouvé une vieille dame qui avait connu ma grand-mère, elle ressemblait à un bout de bois. Quand nous avons quitté l’île Saint-Louis, j’étais encore toute petite et toujours aujourd’hui je me perds, quand j’essaie de retrouver le numéro de la rue Saint-Louis-en-l’île où j’habitais. Je me souviens seulement d’un immense mur. Nous nous sommes installés au 12, rue Monge. C’était un endroit situé au fond d’une cour encaissée, entouré par des immeubles. Quand j’y pense aujourd’hui, je revois les Mystères de Paris peut-être parce que Eugène Sue a habité la rue jadis. J’étouffais, mes parents n’étaient jamais là, j’étais seule toute la journée et jouais à descendre la rue Monge sur une planche. Le jour de ma première communion à Notre-Dame-des-Victoires, ma mère avait mis une robe en dentelle, très décolletée à la Mae West. La honte que j’ai éprouvée à cette occasion est toujours, quatre-vingts ans plus tard, aussi vive. J’adorais aussi aller au Jardin des Plantes voir les animaux, surtout un éléphant qui avec sa trompe crachait sur les visiteurs. Quand on a l’habitude de vivre avec des animaux, on ne peut plus supporter les hommes. Eux seuls sont authentiques, ils ne trichent pas. A quinze ans, j’ai eu un singe qui est mort de tuberculose, comme un enfant, en me tenant la main. Un soir ma grand-mère maternelle a fait semblant d’être morte. Elle s’est cachée pour voir comment je réagirais. J’ai pleuré et voulu disparaître à mon tour. Elle est morte, le lendemain, à cinquante-six ans, dans un taxi. J’avais neuf ans et avais rêvé quelques jours auparavant que ma mère était en grand deuil. Quand j’ai eu dix ans, nous avons encore déménagé pour aller vivre au 22, rue de la Banque. Je suis restée là jusqu’à vingt ans. C’était très triste, il n’y avait pas un commerce et le dimanche les rues étaient désertes. Mon père était directeur d’une maison de broderie qui occupait un immeuble de cinq étages. Il était expert-comptable et travaillait pour de grandes maisons de couture, plus particulièrement Patou. Malheureusement il a fait faillite et nous avons dû partir, quitter ce quartier d’affaires derrière la Bourse. C’était aussi un grand sportif qui adorait le vélo. Nous montions dans les arbres pour voir passer le Tour de France. Mon père est mort à l’âge de soixante-dix ans. Il s’était remarié après son divorce avec une femme ménagère que Louis appelait « la mite » et qui m’a séparée de lui. J’allais à la même école communale que Céline vingt ans plus tôt. C’est étrange pour moi de constater aujourd’hui que Louis et moi, à vingt ans d’intervalle, avons fréquenté les mêmes lieux, un peu comme si j’avais suivi d’invisibles traces. A quatorze ans, je donnais mes rendez-vous galants sous le pont Henri-IV et allais prendre mes chocolats dans un café, « le Rigodon », titre du dernier livre de Céline, et qui n’existe plus aujourd’hui. A Dieppe aussi où ma mère est née, les parents de Louis possédaient quatre petites maisons de pêcheurs. Passage Choiseul, mon père achetait toujours de la dentelle chez la mère de Louis. Au café de la Paix, nous allions tous les dimanches manger une glace en famille. C’était le quartier général de Louis, toujours en attente d’une nouvelle aventure avec une danseuse de l’Opéra tout proche. Le père de Céline aimait dessiner des danseuses, son fils développera la même passion pour la danse. C’est en 1912, année de ma naissance, que Louis s’est engagé pour trois ans au 12e régiment des cuirassiers à Rambouillet. Il vivra la guerre et sa vie entière s’en trouvera bouleversée… ...

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